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30/08/2006

L'hallucination simple (Rimbaud)

Petite note sur l'hallucination simple et Rimbaud (complétée le 16 septembre 2006, voir plus bas)

(Maurice Hénaud)

On nous parle de l'hallucination simple!

Lu dans le livre d'Antoine Fongaro, cité dans notre brouillon d'article (ici même) à propos de Soir historique :

"P. Brunel demande (log cit., p 17) : "Mais s'avise-t-on que le propre de l'hallucination simple est qu'elle se passe d'excitant", etc. (page 167, note 23 dans le livre d'Antoine Fongaro).

Rimbaud définit ainsi l'hallucination simple : "je voyais très franchement une mosquée à la place d'une usine", etc.

Alors, supposons que quelqu'un (je ne dis pas Rimbaud) ait pris une faible ou une très forte dose de haschisch, et qu'il voie "très franchement une mosquée à la place d'une usine", ce ne serait pas une hallucination simple ? Comment faudrait-il l'appeler ?

Je renvoie bien sûr à ce qu'a dit quelque part Alain Dumaine à propos de "l'hallucination simple", de "l'hallucination des mots", de "l'hallucination double" et de la langue qui sera "de l'âme pour l'âme". 

Poison et poisons excitants (haschisch et opium) (complément rajouté le 16 septembre 2006)

Antoine Fongaro, dans la même note 23 de la page 167 de son livre paru récemment, écrit :

"Sans aborder ici la question de savoir si le "poison" dont parle Une saison en enfer est le même que celui dont parle Matinée d'ivresse, (...)" 

Le poison désigne évidemment le haschisch ou l'opium, poisons excitants : La Petite Revue de l'Indiscipline n'a pas peur de le dire, n'en déplaise à Antoine Fongaro, qui continue ainsi :

"(...) qu'il suffise de rappeler que déjà chez Baudelaire le mot "poison" avait un sens métaphorique ; à la fin du Voyage, par exemple :"O Mort, vieux capitaine (...) Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !""

"Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !

Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,

Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?

Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau"

"Enfer ou Ciel" : les Paradis artificiels sont des Enfers artificiels, et la Mort n'est qu'une métaphore pour la plongée dans l'Inconnu, au moyen du poison.

C'est en ce sens que Rimbaud (et aussi dans la critique qu'il fait de Musset) est le disciple de Baudelaire : le poète "épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable tortutre, etc. (...) Car il arrive à l'inconnu !" (voir à ce sujet les oeuvres d'Alain Dumaine diffusées par notre revuette)

Antoine Fongaro cite pourtant Rimbaud et les formes monstrueuses de l'amour, d'Alain Dumaine (auteur inventé par Christian Moncel) (page 415) en justifiant ainsi cette mention :

"Une saison en enfer est pourtant une révolte violente contre la weltanschauung du grand aîné, un "adieu" qui se voulait définitif au monde mensonger du beau littéraire."

Et, encore une fois, Antoine Fongaro a fait disparaître le poison. Alain Dumaine avait pourtant bien dit, entre autres choses, que le "cher Satan" (Baudelaire) à qui est dédié Une Saison en Enfer a couronné Rimbaud "de si aimables pavots" (fleurs dont on fait l'opium, fleurs du mal, et fleurs de paradis ou d'enfers artificiels). Baudelaire n'a pas écrit seulement sur le Beau, mais aussi sur le haschisch, sur l'opium, sur le poison, et sur les poisons excitants. N'est-il pas étrange qu'un critique comme Fongaro prétende gommer certains aspects très importants de l'oeuvre de Baudelaire et de celle de Rimbaud, avec ce simple mot : "métaphore" ?

Antoine Fongaro écrit encore (à la fin de la note 23 de la page 167 de son livre) :

"Dans Matinée d'ivresse, Rimbaud prend le contrepied de Baudelaire : ce qui était poison-mort ou mort-poison dans Le Voyage devient poison-vie ou vie-poison."

Pourtant, Baudelaire écrit :

"Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres

Avec le coeur joyeux d'un jeune passager"

Et encore :

"Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,

Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons !"

Les voyageurs trouveront donc dans le poison de la joie.

Dans cette plongée au fond du gouffre et de l'Inconnu, les voyageurs trouveront du nouveau ! (ce qui semble, de ce point de vue, plus intéressant que la vie réelle, si monotone et dépourvue d'intérêt !)

Dans Matinée d'ivresse, il n'y a peut-être rien qui corresponde exactement, c'est vrai, à la "mer des Ténèbres" et au ciel et à la mer "noirs comme de l'encre", mais Rimbaud fait tout de même le sacrifice de sa vie : "nous savons donner notre vie tout entière tous les jours". - "Poison-mort" pour Baudelaire, malgré la joie ? Et "poison-vie" pour Rimbaud, malgré le sacrifice de la vie ? Au contraire, l'ambivalence du poison semble se retrouver, de manière analogue, dans l'oeuvre du maître et dans celle du disciple, avec seulement des nuances individuelles inévitables.

En outre, Fongaro écrit (page 427, note 4 : il semble qu'il relègue les questions importantes en note) à propos de Rimbaud et de la lettre dite du voyant : "il s'agissait d'époustoufler son correspondant" : autant dire qu'en écrivant sa grande étude sur Théophile Gautier, Baudelaire, lui aussi, en critiquant Musset, n'avait l'intention que d'époustoufler ses lecteurs ! Je renvoie là encore aux ouvrages d'Alain Dumaine, qu'Antoine Fongaro avait semblé approuver. Voir aussi notre numéro L'émotion en poésie, où Musset est critiqué, et, comme il n'a pas suffi, apparemment, que Rimbaud ait dit fort judicieusement que ce poète était "quatorze fois exécrable", notre ami Sébastien rajoute encore une raison au moins de le critiquer, ce qui monte le total à "quinze fois exécrable". Nous ne craignons donc pas d'approuver Baudelaire et Rimbaud dans la critique qu'ils font de Musset, n'en déplaise à Verlaine, à Fongaro, au Pape ou à quiconque !

Maurice Hénaud

18:55 Publié dans Rimbaud | Lien permanent