Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10/01/2006

Rimbaud, homme de progrès, ne beurrait pas sa chevelure!

Rimbaud était-il un homme de progrès ? Que dit internet à ce sujet ? Le site abardel.free.fr, tout en écartant l'idée de palmarès, recommande de consulter en priorité, au sujet d'Une Saison en Enfer, l'édition de Pierre Brunel (José Corti, 1987).

Eh bien, je consulte, je consulte...! Le poison ? C'est un mot dont le sens bouge, c'est tout ce qu'on veut, sauf le haschisch. - Ah bon! Passons à autre chose :

"Que peut être alors la vérité ? écrit Pierre Brunel. Assurément pas celle des positivistes" (page 350).

Quelle assurance! Je dirai même : quel culot!

Si le mensonge est le propre des artistes (cf. L'Amour du Mensonge, de Baudelaire) et des prêtres, pourqoi le véritable amour n'écarterait-il pas radicalement, absolument, la religion ?

Verlaine, assurément, n'était pas positiviste :

"Petits amis qui sûtes nous prouver

Par A plus B que deux et deux font quatre

(...)

- Frères trop chers, laissez-nous rire un peu,

Nous les fervents d'une logique rance,

(...)" (Sagesse, I, XI)

Rimbaud avait déjà répondu à Verlaine : il écrit dans Mauvais sang à propos des Gaulois : "Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure."

La différence de Rimbaud avec ses ancêtres (ou avec Verlaine) est essentielle : sa tête, sa logique, n'est pas rance.

Et Rimbaud précise : "les Gaulois étaient les écorcheurs de bêtes, les brûleurs d'herbes les plus ineptes de leur temps." En somme, de leur temps, les Gaulois étaient des arriérés. Connaissaient-ils la vision des nombres ?

"La science, s'écrie Rimbaud un peu plus loin, la nouvelle noblesse! Le progrès. Le monde marche! Pourquoi ne tournerait-il pas ?" Sinon, peut-être, parce que l'Eglise a prétendu s'opposer à ce que la terre tourne ?

 

Apollinaire, lui non plus, n'était pas positiviste. Il écrit dans Zone :

"Seul en Europe tu n'es pas antique, ô Christianisme

L'Européen le plus moderne, c'est vous, Pape Pie X"

Cette modernité-là est-elle la modernité telle que l'entend Rimbaud ?

"Rien n'est vanité, écrit-il dans L'Eclair; à la science, et en avant!" crie l'Ecclésiaste moderne, c'est-à-dire Tout le monde."

Tout le monde ? Mais n'existe-t-il pas des "arriérés de toutes sortes" ? (Adieu) Des "amis de la mort", dont il a, lui aussi, fait partie, le temps d'une saison ? Il a connu leur enfer : "C'était bien l'enfer; l'ancien, celui dont le fils de l'homme ouvrit les portes." (Le Shéol, le royaume des morts).

La religion, qui a fait du monde le royaume des morts, durera-t-elle jusqu'au jugement dernier ? "Elle ne finira donc point, cette goule reine de millions d'âmes et de corps morts et qui seront jugés!" (Un jugement dernier pour ces cadavres qui ont de gros vers dans le coeur!)

Rimbaud renvoie dans le passé cette horrible vision moyen-âgeuse : "Il faut être absolument moderne."

"Point de cantiques : tenir le pas gagné." Le pas du progrès. Toutes les facultés humaines, les Rois de la vie, les trois mages, le coeur, l'âme, l'esprit, se sont en lui mis en marche pour aller saluer, non plus la beauté baudelairienne, mais la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons et - last but not least - la fin de la superstition, c'est-à-dire de la religion.

Rimbaud apparaît donc comme un des plus grands adversaires du christianisme qui aient jamais existé. Libre à quiconque, à Verlaine ou Claudel, par exemple, de ne pas adopter la vision historique que Rimbaud se fait du progrès de l'humanité. Mais libre à nous de mettre en évidence la récupération dont Rimbaud est l'objet, de la part du christianisme, ou, aussi bien, d'autres courants de pensée.

Maurice Hénaud.

03:20 Publié dans Rimbaud | Lien permanent