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14/01/2006

Rimbaud et la modernité : une modernité positiviste

(ébauche d'article revue le 15 janvier 2006 à 14h15)

(...)

Etiemble a insisté à juste titre sur l'importance que la science, dans Une Saison en Enfer, a pour Rimbaud. D'autre part, il a eu le mérite de voir que Rimbaud, dans ce même ouvrage, assimile les anachorètes aux artistes, et les artistes aux prêtres. Alain Dumaine a repris, développé et précisé ces idées et, en les complétant ou en les corrigeant par ses propres analyses, il a montré qu'après avoir été le véritable successeur de Baudelaire (et le seul qui l'aurait vraiment compris), RImbaud, dans Une Saison en Enfer, a dit adieu à la fois au christianisme et à l'idéal baudelairien.

Dans la charité telle que Rimbaud la conçoit, Alain Dumaine ne voit pas du tout la charité chrétienne, mais l'amour positif avec lequel l'auteur d'Une Saison en Enfer cherche à refaire sa vie.

A Pierre Brunel, pour qui la vérité de Rimbaud n'est "assurément pas celle des positivistes" (1987), Maurice Hénaud, admirateur d'Alain Dumaine, a récemment répondu en essayant de montrer que si Verlaine, assurément, n'était pas positiviste, Rimbaud au contraire était un des plus grands adversaires du christianisme qui aient jamais existé. (voir ici même Rimbaud, homme de progrès, etc.)

(...)

Mais d'abord, en quel sens Rimbaud est-il un positiviste, c'est-à-dire un partisan de la science ?

Immédiatement après l'introduction d'Une Saison en Enfer, le positivisme de Rimbaud (ou ce que j'appelle ainsi, et peut-être non sans raison) éclate dans la première phrase de Mauvais sang : "J'ai de mes ancêtres gaulois l'oeil bleu blanc, la cervelle étroite et la maladresse dans la lutte." Rimbaud note les caractères biologiques de la race, à l'inverse de Madame Rimbaud mère qui idéalise le sang de ses ancêtres comme "bon". Eh bien, est-ce que Tchékhov, médecin et non chrétien, ne reprochait pas à Tolstoï de ne pas tenir compte des données de la biologie ?

Rimbaud reproche également aux chrétiens de ne pas tenir compte des données de l'histoire. Puisqu'il existe, selon lui, une "marche des peuples" (Matin), comment comprendre le progrès du peuple gaulois, peuple qui n'était à l'origine pas particulièrement favorisé, ni par la nature, ni par un développement culturel important ? Faut-il l'expliquer par la rêverie selon laquelle la France aurait été la "fille ainée de l'Eglise" ? Au contraire, le développement du peuple gaulois, loin d'avoir été favorisé d'une manière quelconque, n'aurait-il pas été tout à fait semblable à celui des autres peuples européens ? "Pas une famille d'Europe que je ne connaisse. - J'entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la Déclaration des Droits de l'Homme. - J'ai connu chaque fils de famille!" Les peuples européens ont progressé notamment grâce aux sciences, à la "médecine" et à la "philosophie" (ne seraient-elles pas, tout de même, supérieures aux "remèdes de bonnes femmes" et aux "chansons populaires arrangées" ?) Le peuple, race inférieure, s'est réapproprié "les divertissements des princes et les jeux qu'ils interdisaient", les sciences telles que "géographie, cosmographie, mécanique, chimie!..." Grâce aux sciences notamment, les peuples ont commencé à se libérer de l'oppression (qui fut longtemps celle des Seigneurs et de l'Eglise).

Revenons sur les fils de famille. Est-il bien vrai que, bien qu'ils doivent tout à la Déclaration des Droits de l'Homme, aucun ne veuille travailler ? Les fils de famille, tous des artistes, comme Rimbaud ou Gautier, oisifs comme le crapaud sous les pierres ? (Voir à ce sujet Rimbaud et les formes monstrueuses de l'amour (d'Alain Dumaine), Le Nouvel Onuphrius, pages 44 et 45) Ou bien, au contraire, comme il est dit plus loin dans Une Saison en Enfer, tous, ou presque tous, fils de famille compris, crieraient-ils ensemble, avec l'Ecclésiaste moderne : "A la science, et en avant!" Dans cette hypothèse, ce ne serait alors qu'une toute petite minorité d'individus (des fils de famille, effectivement, Gautier, Baudelaire, Rimbaud lui-même peut-être à un certain moment, quelques autres) qui ne croiraient pas au progrès, ne travailleraient pas, et s'adonneraient à l'art. En somme, les artistes à la manière de Gautier ou de Baudelaire, ne formeraient-ils pas une catégorie spéciale de gens qui resteraient en arrière ?

Le positivisme de Rimbaud n'est évidement pas un scientisme, mais un positivisme critique. L'auteur d'Une Saison en Enfer ne rejette pas la philosophie. (...)

En écrivant : "Il faut être absolument moderne", Rimbaud choisit le "Rien n'est vanité. A la science, et en avant!" de l'Ecclésiaste moderne, il écarte l'Ecclésiaste ancien, l'enfer (l'ancien), et la religion chrétienne, "cette goule reine de millions d'âmes et de corps morts" qui, il est vrai, menace de durer jusqu'au Jugement Dernier!

Je sais bien ce qu'on dira : malgré Etiemble et ses successeurs (nous autres), notre interprétation n'est pas la seule possible, et Paul Claudel, notamment...

Que répondre ? Je ferai simplement remarquer que cet écrivain, lui non plus, assurément, n'était pas positiviste!

Remarques en vrac :

(...)

Baudelaire, assurément, n'était pas positiviste. Je le range donc dans la même catégorie que Verlaine et Apollinaire (voir, ici même, l'article de Maurice Hénaud : Rimbaud, homme de progrès, etc.).

Mais Rimbaud ?

Rimbaud reproche justement à Baudelaire d'attendre de la femme idéalisée la guérison de son âme :

"Mon âme, par toi guérie,

Par toi, lumière et couleur,

Explosion de chaleur

Dans ma noire Sibérie" (Sisina)

Rimbaud, lui, dans Une Saison en Enfer, attend son salut du travail humain : "Le travail humain! C'est l'explosion qui éclaire mon abîme de temps en temps". (L'Eclair)

Maurice Hénaud a noté que, dans Matin, Rimbaud aspire à saluer non plus la beauté baudelairienne, mais "le travail nouveau", c'est-à-dire non pas celui des "horribles travailleurs", mais le véritable travail.

Selon moi, Maurice Hénaud a tout à fait raison de dire (en reprenant les conceptions d"Alain Dumaine), que le mot saluer (dans Matin) est une allusion à L'Amour du Mensonge de Baudelaire, puisque Rimbaud continue :

"Quand irons-nous (...) adorer (...) Noël sur la terre! Il ne s'agit plus d'adorer la beauté baudelairienne ("Masque ou décor, salut! j'adore ta beauté!"). Il s'agit d'aller adorer non pas un Noêl ou un paradis céleste (comme les chrétiens ou Baudelaire, dont le coeur "fuit la vérité"), mais l'avènement d'une réalité terrestre, positive.

Le matin apparaît encore, sous la forme de "l'aurore" annoncée, dans Adieu. Il s'oppose à l'"éternel soleil" du même chapitre, qui est le soleil de "cette après-midi qui n'a jamais de fin" (voir Le Voyage, de Baudelaire) (un soleil satanique, qui s'oppose à la "clarté divine").

(...)

Jean Donat.

 

17:25 Publié dans Rimbaud | Lien permanent

10/01/2006

Rimbaud, homme de progrès, ne beurrait pas sa chevelure!

Rimbaud était-il un homme de progrès ? Que dit internet à ce sujet ? Le site abardel.free.fr, tout en écartant l'idée de palmarès, recommande de consulter en priorité, au sujet d'Une Saison en Enfer, l'édition de Pierre Brunel (José Corti, 1987).

Eh bien, je consulte, je consulte...! Le poison ? C'est un mot dont le sens bouge, c'est tout ce qu'on veut, sauf le haschisch. - Ah bon! Passons à autre chose :

"Que peut être alors la vérité ? écrit Pierre Brunel. Assurément pas celle des positivistes" (page 350).

Quelle assurance! Je dirai même : quel culot!

Si le mensonge est le propre des artistes (cf. L'Amour du Mensonge, de Baudelaire) et des prêtres, pourqoi le véritable amour n'écarterait-il pas radicalement, absolument, la religion ?

Verlaine, assurément, n'était pas positiviste :

"Petits amis qui sûtes nous prouver

Par A plus B que deux et deux font quatre

(...)

- Frères trop chers, laissez-nous rire un peu,

Nous les fervents d'une logique rance,

(...)" (Sagesse, I, XI)

Rimbaud avait déjà répondu à Verlaine : il écrit dans Mauvais sang à propos des Gaulois : "Je trouve mon habillement aussi barbare que le leur. Mais je ne beurre pas ma chevelure."

La différence de Rimbaud avec ses ancêtres (ou avec Verlaine) est essentielle : sa tête, sa logique, n'est pas rance.

Et Rimbaud précise : "les Gaulois étaient les écorcheurs de bêtes, les brûleurs d'herbes les plus ineptes de leur temps." En somme, de leur temps, les Gaulois étaient des arriérés. Connaissaient-ils la vision des nombres ?

"La science, s'écrie Rimbaud un peu plus loin, la nouvelle noblesse! Le progrès. Le monde marche! Pourquoi ne tournerait-il pas ?" Sinon, peut-être, parce que l'Eglise a prétendu s'opposer à ce que la terre tourne ?

 

Apollinaire, lui non plus, n'était pas positiviste. Il écrit dans Zone :

"Seul en Europe tu n'es pas antique, ô Christianisme

L'Européen le plus moderne, c'est vous, Pape Pie X"

Cette modernité-là est-elle la modernité telle que l'entend Rimbaud ?

"Rien n'est vanité, écrit-il dans L'Eclair; à la science, et en avant!" crie l'Ecclésiaste moderne, c'est-à-dire Tout le monde."

Tout le monde ? Mais n'existe-t-il pas des "arriérés de toutes sortes" ? (Adieu) Des "amis de la mort", dont il a, lui aussi, fait partie, le temps d'une saison ? Il a connu leur enfer : "C'était bien l'enfer; l'ancien, celui dont le fils de l'homme ouvrit les portes." (Le Shéol, le royaume des morts).

La religion, qui a fait du monde le royaume des morts, durera-t-elle jusqu'au jugement dernier ? "Elle ne finira donc point, cette goule reine de millions d'âmes et de corps morts et qui seront jugés!" (Un jugement dernier pour ces cadavres qui ont de gros vers dans le coeur!)

Rimbaud renvoie dans le passé cette horrible vision moyen-âgeuse : "Il faut être absolument moderne."

"Point de cantiques : tenir le pas gagné." Le pas du progrès. Toutes les facultés humaines, les Rois de la vie, les trois mages, le coeur, l'âme, l'esprit, se sont en lui mis en marche pour aller saluer, non plus la beauté baudelairienne, mais la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons et - last but not least - la fin de la superstition, c'est-à-dire de la religion.

Rimbaud apparaît donc comme un des plus grands adversaires du christianisme qui aient jamais existé. Libre à quiconque, à Verlaine ou Claudel, par exemple, de ne pas adopter la vision historique que Rimbaud se fait du progrès de l'humanité. Mais libre à nous de mettre en évidence la récupération dont Rimbaud est l'objet, de la part du christianisme, ou, aussi bien, d'autres courants de pensée.

Maurice Hénaud.

03:20 Publié dans Rimbaud | Lien permanent

04/01/2006

RIMBAUD:des lettres dites du Voyant à Une Saison en Enfer

RIMBAUD : des lettres dites du Voyant à Une Saison en Enfer

[Nous publions ici de courts extraits d'un article de Maurice Hénaud qui devrait paraître dans un prochain numéro de La Petite Revue de l'Indiscipline]

Dans Une Saison en Enfer (1873), Rimbaud renonce à l'idéal baudelairien qu'il avait fait sien dans les lettres dites du Voyant (1871). En retrouvant l'essentiel des conceptions qui y sont développées dans les "hideux feuillets" de 1873, Alain Dumaine a en effet pu le montrer.

"(...) inspecter l'invisible et entendre l'inouï étant autre chose que reprendre l'esprit des choses mortes, Baudelaire est le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu", affirme Rimbaud en 1871. Selon lui, le poète doit rechercher "toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences."

(...)

Le démon qui couronna l'auteur d'Une Saison en Enfer "de si aimables pavots" (les fleurs dont on fait l'opium, les fleurs du démon, ou les fleurs du Mal, qui créent les paradis ou les enfers artificiels), c'est Baudelaire, le roi des poètes, dont Rimbaud fut le successeur véritable.

(...)

"Je ne regrette pas le siècle des coeurs sensibles", écrit Rimbaud dans Mauvais sang. Il ne regrette pas, comme Musset dans Rolla (Ah! la "sensibilité de coeur"!), le XVIIIème siècle non voltairien, celui du coeur et de la croyance. "Chacun a sa raison, mépris et charité : je retiens ma place au sommet de cette angélique échelle de bon sens."

"Le bon sens nous dit que les choses de la terre n'existent que bien peu, et que la vraie réalité n'est que dans les rêves", avait affirmé Baudelaire dans la dédicace des Paradis artificiels. Rimbaud, comme lui, a sa raison, mépris et amour pour les femmes. Est-ce de l'angélisme ? Le coeur, n'en déplaise à Verlaine, n'est pas ce qui se trouve au sommet. Le coeur n'est que le premier échelon de l'angélique échelle : Hugo l'a dit, n'en déplaise encore à Verlaine (voir De la Femme au Ciel, dans Les Chansons des Rues et des Bois).

Quant au "bonheur établi", Rimbaud s'y sent inapte. Pourquoi ? "moi, ma vie n'est pas assez pesante, elle s'envole et flotte loin au-dessus de l'action, ce cher point du monde."

La vie de Rimbaud, comme l'âme de Baudelaire dans Elévation, s'envole si haut, que la terre n'est plus qu'un point.

"Comme je deviens vieille fille, à manquer du courage d'aimer la mort!", remarque Rimbaud. Aimer la mort, c'est aimer l'idéal baudelairien des paradis artificiels et des amours monstrueuses qui écartent "l'honnêteté", honnêteté qui empêche les vieilles filles de connaître l'amour. (voir Femmes damnées, Delphine et Hippolyte, vers 59 à 66 en particulier)

(...)

"J'ai avalé une fameuse gorgée de poison. - Trois fois béni le conseil qui m'est arrivé!", s'écrie ironiquement Rimbaud dans Nuit de l'Enfer. Le conseil avait été donné par Baudelaire "à ceux qui mériteraient peut-être le bonheur" (c'est-à-dire aux artistes et aux poètes), dans la dédicace des Paradis artificiels :

"Pour digérer le bonheur naturel, comme l'artificiel, il faut d'abord avoir le courage de l'avaler (...)" 

(...) 

"Que parlais-je de main amie!", écrit Rimbaud dans sa conclusion."Un bel avantage, c'est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs"

Les vieilles amours mensongères sont les amours baudelairiennes, analogues à celles des Femmes damnées, de Delphine et Hippolyte :

" - j'ai vu l'enfer des femmes là-bas;"

Rimbaud renvoie ainsi triplement à l'entreprise baudelairienne du voyant.

(L'expression "enfer des hommes" ne renverrait pas à Baudelaire, et Rimbaud ne l'a pas employée).

" - et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps."

Verlaine n'est qu'un "faux con" (comme il l'a dit lui-même), et la vérité, loin d'être uniquement dans les rêves, se trouve aussi dans le corps et dans la femme réelle.

Le mérite éventuel de ce petit article (...) n'a consisté qu'à reprendre les idées exprimées par Alain Dumaine dans ses ouvrages. (...) 

Maurice Hénaud

11:10 Publié dans Rimbaud | Lien permanent